_

Dans une chambre sise au fond d'une étroite ruelle de Strasbourg, se trouve un petit atelier de bijouterie. Les outils qui le composent sont simples, en somme peu nombreux, souvent anciens, mais c'est assis là que je cisèle quelques plaques d'argent pour les monter en bijoux. Au prise avec une technique presque oubliée, la ciselure en repoussé, j'ai dû réapprendre d'anciens gestes, faisant des ratés, perçant quelques fois le métal en malheureuse fissure, parfois aussi quelques secrets.
Artisanat en sévère voie de disparition, né en Orient voilà plus de 4500 ans, la ciselure s'est doucement perdue en Europe à partir des années cinquante. Mes influences sont dès lors un peu rares, vite troublées par le temps et les distances. L'antiquité reste une source d’inspiration et de motivation, voire de connaissance pratique grâce à certaines publications archéologiques étudiant l'aspect technique des bijoux. Plus proche, une découverte assez marquante fut celle du ciseleur strasbourgeois Jacques Frédéric Kirstein (1765-1838) et son travail, qu'on peut voir ainsi que ses dessins préparatoires à Strasbourg, avec un degré de précision figurative peut-être encore jamais égalé par ce moyen. Un siècle plus tard, l'Art nouveau, à contre courant d'une bijouterie qui n'utilisait guère cette technique, nous a livré de nombreux bijoux follement ciselés qui allaient participer de la renommée de bien des enseignes actuelles. Je dois enfin mentionner le ciseleur français contemporain Mehdi Harzallaoui, car c'est en tombant sur son beau travail que j'ai découvert pour la première fois vraiment la technique de la ciselure au repoussé.
Du reste et sans surprise, la nature dans ses clairs contours ou jeux d’esquisses en mouvement, dans ce qu'elle a de plus simple, est l'unique guide, et le vivant le premier modèle, ce sont là mes intentions autant qu’à tout.e artisan.e de l’art figuratif. Mais si le végétal et l’animal demeurent donc des thèmes favoris, c’est aussi à l’humain que je souhaiterais faire une place particulière.
Représenter toutefois l’humain sans sacrifier la réalité du vivant signifie nécessairement qu’au pur règne de la nature et ses équilibres se mêle parfois un monde étonnamment arbitraire, au sein duquel tout n’a pas toujours sa place, encore moins la mesure, le bien, la justice, enfin tous les idéaux d’harmonie que nos vanités viennent violemment contredire. Que faire de cela qu’est « la vie » ? Le refus de ce « premier monde venu » comme le définissait Musil, est possible, et cette possibilité seule est déjà édifiante. On peut donc le refuser en tentant d'incarner des idéaux dans nos productions, la beauté, la nature, la joie, le sentiment de respect et la paix. Je serais content d'y arriver. Mais les idéaux seuls peuvent vite s’abîmer dans l’ineffectivité, si toute l’expérience humaine n’est pas aussi exprimée. On ne craindra donc pas de choisir, quelques fois, des sujets un peu sombres, empreints d’une certaine gravité, voire d’une certaine violence, puis d’essayer d’y mêler de la grâce, l’idée d’un dépassement vers un mieux, et enfin d’expliciter cette idée à chaque fois qu’il le faudra. Mes intentions profondes sont pour ainsi dire idéelles peut-être plus qu'idéales. Ou bien mon unique idéal ici, est de réussir à parfois faire de l’objet porté, même à l'échelle classique du bijou, non seulement une mise en relief harmonieuse de la personnalité, mais peut-être aussi un véritable signifiant.
Guillaume Djebbour
