Au-delà des réparations classiques de bijoux majoritairement non-ciselés que je suis parfois amené à faire, il m'est également possible de restaurer dans les règles de l'art certaines pièces d’orfèvrerie, qu'elles comportent ou pas un travail de ciselure. C'est d'une partie de ce travail dont je voudrais rendre compte ici.
~ Couvercle de ciboire en argent (fin 18ème siècle)
J'ai été honoré de me voir confié par les Antiquités Bastian, situées au pied de la Cathédrale de Strasbourg, la restauration d'un couvercle de ciboire en argent ciselé au tracé-matis, travail ruthénois réalisé vers 1780 par Jean-Joseph Lacoste. Ce couvercle, de 12 cm de diamètre, était enfoncé suite à une chute ou un écrasement, et la croix qu'il portait avait disparue, ne laissant plus que le pâté d'une vieille soudure d'étain fissurée, ce qui dénotait pour compliquer la tâche une possible fissure au cœur même de la pièce.
L'opération la plus longue fut peut-être celle consistant à enlever doucement l'étain à la meulette de silicone abrasif, parfois un peu à l'échoppe, sans toucher la pièce et en distinguant régulièrement l'argent de l'étain restant au moyen de sulfure de potassium (ou foie de souffre, comme l'appelaient les alchimistes du moyen-âge), qui noircit l'argent. Opération d'autant plus nécessaire qu'un reste d'étain gênerait ou rendrait même impossible toute soudure ultérieure à la brasure d'argent. Chauffer plusieurs fois avec application généreuse de borax et jusqu'au au rouge pâle la fissure qui s'était révélée, permit d'éliminer les dernières traces d'étain difficilement accessibles. Le pâté entièrement disparu (sous lequel la pièce était un peu plus élevée et non-ciselée - la soudure d'étain était peut-être d'origine), il devint possible de redresser au mieux l'unique bosse du couvercle, avec son méplat originel, ce qui fut une opération relativement simple. Une utilisation du ciment de ciseleur que l'on peut préformer pour l'occasion et d'une boule de bois à taille accompagnée d'un cuir fin, permit en outre de ne pas abîmer le négatif en relief du tracé-matis. Après planage optimal au ciselet de bois, et rattrapages au ciselet d'acier des sillons droits du tracé-matis dont l’intérieur avait dû être gratté, vint ensuite la fabrication d'une nouvelle croix en argent selon les vœux du client, une croix simple, épaisseur 2mm, 3cm de hauteur sur 2cm de largeur de bras. Une particularité intéressante était qu'elle devait naturellement être faite dans un esprit de fabrication du 18ème siècle, équilibre paradoxal entre une sincère volonté de perfection géométrique et une tolérance à cet égard. Les étapes en somme : fonte du lingotin, passage au laminoir, dessin puis découpe au bocfil et travail de lime au grain de plus en plus fin et à l'émeri. Le comblement de la fissure, dont les bords ne se touchaient pas bien, s'est ensuite réalisé en y glissant de fines plaques d'argent 925 et des paillons de brasures de chaque côtés, soudant le tout au chalumeau. Après une mise à niveau des surfaces de nouveau solidarisées et une nouvelle reprise au ciselet suite au traitement de la fissure, vint la soudure de la nouvelle croix. Certaines opérations de soudure délicates se font dans le noir afin de contrôler les températures atteintes par la vue des couleurs que prend le métal, un dépassement pouvant être fatal pour la pièce. Pour terminer, un léger vieillissement de la croix un peu trop clinquante, la réoxydation au foie de souffre du tracé-matis et des creux de la collerette, puis un polissage de l'ensemble.
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