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Il est possible de donner une définition technique assez simple de la ciselure : déplacer le métal sans en enlever par petites frappes indirectes et précipitées, au moyen de marteaux et de ciselets, afin de lui donner volume et forme, tracer et composer des lignes, ou encore produire une texture déterminée. Un peu moins facile à définir, sa dimension esthétique se trouve vite liée à certains aspects techniques allant au-delà de cette première description, et pourra être abordée en même temps qu'on abordera certains choix pratiques qu'on devra lire comme des choix personnels. Comme bien des métiers d'art en effet, cette dimension est en partie déterminée par le regard de chaque ciseleuse et ciseleur, porté.e par des procédés déterminés et les déterminant en retour, les différences d'un coup d'outil à l'autre, les attentes et degrés d'indétermination qu'on se permet d'avoir au sein du processus, enfin les évolutions ou encore les sensibilités en propre et les résultats parfois assez éloignés qu'elles peuvent produire entre elles.
Il y a trois principaux types de ciselure, la retouche sur fonte, le repoussé et le tracé-matis, mais alors peut-être autant de singularités dans les styles que de pratiquant.e.s. Mon travail est ici essentiellement un travail de ciselure dite en repoussé, ou au repoussé, qui "consiste à relever dans un plané la forme d'un objet et, quand par un embouti du dessous on en a obtenu des reliefs, à reprendre ces reliefs au ciselet" (Léon Verleye). Sa pratique, qui se situe entre celle du dessin et de la sculpture, diffère pourtant de l’un et l’autre.
Autre particularité générale, c’est une ciselure au repoussé en bijouterie, qui s'éloigne par l'échelle des figures ciselées parfois plus imposantes qu’offre à voir l'orfèvrerie et qui peuvent impliquer d'autres gestes. Les caractères esthétiques sont donc là parfois d’autant moins saisissables qu’il en va d’objets finis faits pour pouvoir être placés en mouvement et lus à distance, de bijoux qui ont pour espace attribué le corps tout en devant à eux seuls, selon mon idéal du moins, déjà figurer le vivant. Il est en tout cas certain, hors même ces considérations, que pour ce métier rare l’enjeu est aussi de transmission. Pour cette raison au moins je tente de préciser ici quelques aspects de mon travail à travers une description d'outils spécifiques et leur usage, afin d’apporter peut-être une discrète contribution à la continuation de cet art particulier.
Les outils principaux et leur utilisation
1. Le laminoir
Le laminoir est un outil de base indispensable si l'on veut être indépendant en plaque, d'où l'on part toujours en repoussé, et en fil. À partir de métal fondu en lingotin, on passe en la recuisant très régulièrement la matière entre les rouleaux, dont l'écartement est petit à petit réduit jusqu'à obtenir l'épaisseur voulue.
2. Boulet et ciment
On appelle boulet, en ciselure, une demi-sphère creuse, d'acier généralement, lui permettant par son poids de rester immobile sur son panonier quelle que soit l'inclinaison donnée pour les besoins du travail. Le panonier est un collier de cuir, ou un coussin de cuir remplit de sable et creux en son centre, servant de support au boulet. Ce nom vient d'une époque où pour faire cet outil on découpait un boulet de canon. Après avoir lesté de plomb le fond du boulet, on y coule à l'intérieur un ciment dit de fontainier, mélange plusieurs fois millénaire de brique pilée, de résine, de suif, de goudron et de carbonate de chaux. Sa dureté devant permettre tout à la fois de soutenir la pièce collée (mise en ciment opérée au feu), et de la modeler aux endroits précis où l'on frappe, les mélanges ne sont pas toujours aisés à faire. On doit se débrouiller, doser et réaliser des tests en considérant aussi la température ambiante. Ainsi deux boulets au moins, remplis de ciment aux dosages différents, sont nécessaires, un d'été et un d'hiver. Le goudron de Norvège utilisé donne une légère et agréable odeur de cheminée à l'atelier !
3. Les ciselets
Entre le pinceau du peintre et le burin du sculpteur, se tient le ciselet. Ce sont des barrettes forgées dans un acier de qualité qui ne doit pas être trop dur, aux pointes trempées, polies ou texturées, et de formes très variées. Ces formes sont toutefois toujours élémentaires, jamais figuratives, auquel cas ce serait sinon des poinçons décoratifs, non des ciselets. On ne trouve plus depuis longtemps de ciselet neuf dans le commerce, alors, principe de base en artisanat de toute façon, on est obligé d'en fabriquer soi-même à mesure des besoins ou d'en chiner çà et là, les sauvant souvent de la ferraille. C'est ensuite par frappe indirecte que s'opère la ciselure, le marteau tapant la tête du ciselet, sa pointe posée sur la pièce à travailler.